(Portrait à la façon de La Bruyère) Pour Gilles, mon beau-frère
Gilhon descend son escalier, ouvre sa porte pour sortir, et s’arrête sur le trottoir. Il lève la tête et examine le ciel d’un œil fixe. Son voisin le salue. Il ne le voit pas et le heurte au passage, l’œil toujours fixé aux cieux. Enfin, sa figure s’illumine. Il vient d’apercevoir une de ces machines volantes, objets de sa passion, qui font fureur à la Cour et dont le Roy lui-même s’est entiché.
Il cherche sa lorgnette qu’il porte partout, toujours fidèlement suspendue à son dos. Il la fixe au regard et sans s’aviser qu’on le dévisage, il fait un tour complet sur lui-même, bousculant sans s’en rendre compte deux ou trois passants qui maugréent.
Propose-t-il une sortie à sa femme, qu’il se rend, sans la consulter, sur le terrain d’où arrivent et partent les machines. S’ils disposent de quelques jours de congés, ils s’installent près de ces mêmes endroits où il s’établit des heures durant, le nez en l’air, profondément absorbé dans sa contemplation.
Dans sa maison, ne pouvant en posséder de grandes, il construit en secret les mêmes petites machines, qu’il nomme « avions ». Il oblige sa femme à les peindre. Il en fait collection.
Si vous l’abordez dans la rue pour lui demander l’heure, il vous retiendra sur le bord du trottoir et ne vous laissera le quitter qu’après s’être assuré que vous avez bien retenu les différents horaires qui règlent le départ et l’arrivée des appareils, mais l’heure, vous ne la saurez pas. Si vous lui parlez du temps qu’il fait, vous saurez tout sur les courants ascendants et descendants qui permettent aux machines de voler. Si vous lui demandez des nouvelles de sa famille, il vous apprendra que le dernier né des « avions » se nomme « Caravelle » ou « Mercure », mais sur la santé de son père vous ne saurez rien.
Et surtout, n’allez pas déclarer devant lui que ces machines sont bruyantes, dangereuses et qu’elles remplissent les airs de leurs vapeurs malsaines, il s’en tiendrait pour offensé et vous le verriez aussitôt s’échauffer de telle sorte qu’il vous semblerait avoir perdu l’esprit.
Enfin, pour tout vous dire, ce n’est pas un homme qui parle : Il vrombit. Il n’écoute pas : Il plane. Il ne s’assied pas : Il se pose. Il ne se lève pas : Il décolle. Il n’arrive pas : Il atterrit. Il ne se nourrit pas : Il fait le plein. Je crois bien qu’il ne mourra pas, mais bien plutôt qu’il se « crashera ».
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