Angoisse
Marinette détourna pour la deuxième fois son regard. Elle était gênée par ce regard inconnu qui la dévisageait avec insistance depuis qu’elle s’était installée dans ce train de banlieue qui la ramenait à X… Que lui voulait cet homme et pourquoi ne la quittait-il pas des yeux ?
Elle passa machinalement la main sur la manche de son manteau de fourrure et la douceur tiède et familière détourna un instant son attention. Elle laissa errer son regard autour d’elle et ne distingua dans la pénombre de ce triste wagon que quelques rares silhouettes, tassées et muettes dans le coin des vitres que la nuit avait depuis longtemps obscurcies. Le train roulait dans un fracas cahotant à travers une banlieue déjà déserte.
Marinette posa, pour la troisième fois, ses yeux sur son compagnon avec une indifférence affectée et sursauta… Le regard de l’autre était posé fixement sur son sac à main ! Marinette s’agita légèrement sur la banquette et se mit à souhaiter que l’inconnu descendît à une autre station qu’elle-même. Elle se sentait oppressée et brusquement, des tas d’histoires de vol à main armée, de femmes seules attaquées, dévalisées, assassinées même, lui revinrent en mémoire.
Son cœur battait maintenant au même rythme que le choc régulier du rail et de la roue et elle ne savait plus si c’était celui-ci ou celui-là qui la secouait toute. Elle n’arrivait plus à détourner les yeux de cette tête à demi inclinée en face d’elle et se torturait en essayant de suivre les pensées de l’individu.
« Il l’avait déjà remarquée ou suivie, il savait où elle allait et pourquoi, il savait qu’elle ne pourrait demander secours à personne, par crainte du scandale qui rejaillirait sur son nom, si on venait à découvrir ses rendez-vous clandestins et inavoués ».
Son amant, son mari ! Ni l’un, ni l’autre ne lui pardonnerait… Il ne lui restait plus qu’une issue, la fuite, car elle était sûre maintenant que l’homme ne descendrait pas ailleurs qu’à la petite station de X…
Elle essaya donc de dissimuler son effroi grandissant, se rassura à moitié en pensant à la petite gare éclairée où le train arrivait à présent. Mais l’angoisse d’être reconnue par l’employé la rejeta dans sa peur solitaire et elle acheva de perdre tout contrôle d’elle-même quand elle sentit à nouveau sur son visage le regard de l’inconnu. Elle n’empêchait qu’avec peine ses genoux de s’entrechoquer sous la lourde fourrure. Il lui fallut pourtant se mettre debout, préparer son billet et, avant même que le convoi eût stoppé, elle était debout tandis que derrière elle, l’homme se levait lourdement et s’approchait en traînant les pieds.
Marinette se sentit blêmir de terreur. Sur le quai, elle espéra pouvoir se perdre parmi les quelques voyageurs qui se pressaient vers le portillon, mais une fois celui-ci franchi, elle se retrouva seule sur une petite place froide et déserte, que chacun avait fui, pressé de rentrer chez soi.
Derrière elle, elle entendit le pas traînant de son poursuivant et elle se jeta en avant à l’aveuglette. Elle aurait voulu courir, mais elle en était incapable, elle marchait en titubant sur ses jambes qui tremblaient, gênée par ses hauts talons et par son lourd manteau qui pesait comme du plomb sur ses minces épaules. Le sang battait avec une telle violence dans sa tête qu’elle en était étourdie et presque prise de nausées. Elle dut même s’arrêter un moment, ses jambes chancelantes lui refusant tout service.
C’est alors qu’elle entendit de nouveau résonner à ses oreilles le pas de l’homme, et, se détournant à demi, elle vit qu’il avait gagné du terrain, il marchait en rasant les murs, il allait la rattraper. Elle imagina en une seconde la scène qui allait suivre si elle ne s’échappait pas et prise d’une folle terreur, elle se mit à secouer avec une fureur désespérée la grille d’un pavillon contre le mur duquel elle était appuyée. Elle eut pendant un instant l’espoir d’une lumière qui s’allumerait, d’une voix qui viendrait la sortir de cette angoisse aiguë dans laquelle sa raison s’engloutissait, mais rien ne se manifesta.
Elle entendit seulement un chien hurler au loin et tout près maintenant, le pas de l’homme. Elle essaya à nouveau de courir, mais ses dernières forces l’abandonnaient et elle comprit qu’elle allait tomber. Elle s’appuya à nouveau à la grille, sa main tremblante s’accrocha à quelque chose, la grille s’ouvrit en grinçant devant elle. Elle ne sut pas comment elle avait grimpé le perron de cette maison, mais elle se retrouva debout, frappant ave les poings sur le battant fermé de bois dur.
Atroce, ce fut atroce ! Le bois résonna avec bruit dans le silence d’une maison vide et Marinette comprit qu’elle était perdue. Elle était seule, seule ! Et cet homme allait la tuer. Cette certitude et l’impossibilité absolue où elle était de changer le cours des choses lui rendirent soudainement son calme.
Elle se tassa dans le coin de la porte, blême, figée, insensible et l’homme poussa à son tour la grille et entra dans le petit jardin. Elle le fixait avec des yeux exorbités, son cœur ne battait plus. L’homme tendait les mains vers elle et lentement, presque avec précaution se mit à gravir les marches. Il était sur sa proie ! Marinette ferma les yeux, attendant le contact brutal des mains sur son cou. Ce ne fut que lorsque l’homme l’eût frôlée en tâtonnant le long de la porte et qu’il se fût rejeté en arrière en poussant une exclamation de surprise, qu’elle reprit contact avec les choses extérieures. Et le premier bruit, la première chose qui frappa son esprit, ce fut la vision d’une canne blanche d’aveugle qui dégringolait l’escalier par saccades pour s’immobiliser en bas, brillante inoffensive, seul point clair dans la nuit…
La jeune femme réalisa d’un seul coup toute l’étendue de sa méprise et le côté grotesque de l’aventure et sans s’occuper du pauvre homme aveugle qui questionnait, affolé et peureux, elle s’enfuit dans la nuit, secouée d’un fou rire délirant et nerveux qui touchait aux sanglots.
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