La Seine. Le soir
Des arbres, un banc
Sur le banc un homme ou un enfant
Comme vous voudrez, il a vingt ans.
Il est assis et regarde couler la
Seine.
Ca l’intéresse, lui, de savoir de
quel côté
Elle va, la Seine.
Ca l’intéresse de savoir dans quelle
direction
Il roulera tout à l’heure.
Sur son bouquin de géo, c’est facile
de se retrouver :
Source, embouchure…
Ici évidemment c’est plus compliqué.
Voyons ! Sud, nord…
La mer est par ici, la montagne par
là
La mer, c’est fini, jamais il ne la
connaîtra
La montagne, c’est différent
Il pense à l’Auvergne maintenant.
C’est là qu’il passait ses vacances
C’est là qu’il a aimé quand il avait
quinze ans.
Ce qu’il ne comprend pas l’enfant qui
est là sur le banc
C’est pourquoi on l’a tant engueulé.
Il a aimé, bien sûr, mais après tout,
Son amour était à lui. C’était même
la seule chose
Qu’il aima dans la vie, « son
Amour ».
Evidemment on lui a expliqué
Que la vie était trop dure à notre
époque.
Que l’on ne pouvait rien donner
Pas même son amour.
Elle est tellement dure, la vie,
Qu’elle l’ennuie mortellement.
Il en a marre de la vie,
Marre de se faire engueuler quand il
rentre tard.
Il veut qu’on lui foute la paix, là,
sur son banc.
Il se fout de tout, de sa jeunesse,
du Bon Dieu
De l’eau sale, de ses parents.
Et même de son amour perdu à quinze
ans.
Il peut même arriver à en rire,
maintenant.
Tenez, là, tout de suite ! Sur
son banc !
Et l’enfant qui souffre se met à rire
férocement.
Un rire d’homme aigri, cynique,
méchant.
Et toujours riant il se lève
Et se dirige vers l’escalier de
pierre
Que la Seine tapote doucement.
Il se penche sur l’eau sale et
compte :
Un… Effort de volonté : Héros
cornélien !
Deux… Loi de la pesanteur !
Trois… Principe d’Archimède !
La seine, un soir, des arbres, un
banc
Un banc vide.
Le lendemain, la concierge :
Un bon p’tit gars, M’sieurs
Dames ! Et économe avec ça !
T’nez, pas plus tard qu’hier, j’l’ai
entendu dire à sa mère :
« Je ne comprends pas les gens
qui se suicident au gaz, ça coûte si cher le mètre-cube »